French
Vol de reconnaissance
Il y a le temps, il y a le vent, le bruit des canons qui résonnent et qui m’emporte dans un tourbillon de frissons. Est-ce cela la peur ? Vais-je mourir en terre inconnue, à 5000 km de chez moi, pour des gens que je ne connais pas, qui ne savent rien de moi et qui parlent tant de langues différentes de la mienne. Alors je sers mon roi, ma foi, ma patrie ; je ne devrais pas avoir peur. Ils me disent que je dois être fier, que je suis un héro, que je vais mourir pour la cause mais mourir pour une cause ou rien, c’est toujours mourir, non ? Une cause vaut-elle que l’on meure pour elle ? La liberté. Oui « vivre libre ou mourir ». Et puis, des guerres, il y en a eu, beaucoup, de plus en plus longues et meurtrières. Les châteaux forts ne sont plus utiles car ce ne sont plus des boulets de canons. La menace vient d’en haut. Places fortes et abris souterrains sont notre quotidien. Baïonnette au fusil, arme au poing, casque sur la tête, quignon de pain et gourde, paquetage d’un moribond en sursis. A ce train-là, on ne fera pas long feu. Les vieux sont trop vieux et les jeunes trop jeunes, jeunes et fous. Ils se prennent des balles comme s’ils pouvaient y résister. Et les casques sont fracassés.
Au loin, une sonnerie retentit ; peur sur la ville. La panique prend place, fait place nette. Les volets se ferment, les enfants se taisent et courent vers les maisons dont les portes se claquent. Au sol, les ombres des bombardiers « gotha » allemands se dessinent, oiseaux de proie. Moi je peux le voir, car je suis dans les airs. Je suis l’un des rares pilotes canadiens de la RAF et mon rôle est de photographier les positions ennemies. Voir le monde d’en haut est merveilleux, tellement différent. Je peux voir mes compagnons d’armes former de longues colonnes pour rejoindre leurs positions, toujours plus à l’est, car nous avançons, nous gagnons du terrain sur l’ennemi. Mais l’ennemi se défend et revient toujours avec plus d’hommes, plus d’armes. Mes amis tombent, on les compte. Chaque soir, je prends des nouvelles d’eux. Beaucoup ne reviendront pas. Moi je ne me bats pas, du moins, je n’appuie pas sur une gâchette, je ne lance pas de balle ni de bombe mais je sais que mon rôle est primordial car qui peut voir de haut peut anticiper les mouvements de troupes et les contrôler. On peut pilonner une zone ou en renforcer une pour obliger l’ennemi à prendre une direction, un chemin que nous avons choisi et où il ne pourra pas riposter. Nous, dans nos avions, nous voyons mieux et plus loin que n’importe quel général au quartier général. Et c’est pour cela que nous sommes envoyés en mission, pour être les yeux de notre patrie. Mon avion est un Vickers F.B.5 aménagé, un rescapé du glorieux 11ème Squadron RFC, le premier escadron de chasse. On a retiré la mitrailleuse pour que je puisse tenir mon appareil photo. On ne vole pas vite mais il y a beaucoup de mouvements et c’est très difficile de prendre des photographies de qualité.
Le pilote est anglais, il a toute ma confiance pour survoler les plaines françaises. Il les connaît bien, il a déjà combattu et comme tout bon pilote, il s’est crashé à plusieurs reprises mais il s’en est toujours sorti. A présent, il ne peut plus combattre, les Allemands ont de meilleurs avions, de meilleurs pilotes et il ne se sent plus à la hauteur mais, comme moi, il veut se rendre utile, à sa manière. Il dit toujours que voler était un privilège et d’affronter les derniers chevaliers en armure était un honneur. Il parvenait à voir une certaine noblesse dans le combat aérien, comme les duels de chevalerie.
Ne les appelle-t-on pas les chevaliers du ciel ? Je ne partage pas son enthousiasme. Même si je peux concevoir que l’on abat un avion et pas un homme, quand il se crashe et meurt, c’est une vie qui disparaît. Peut-être sont-ils plus courageux, plus braves ou tout simplement inconscients. Moi je sais que lorsque la guerre sera finie, je deviendrai reporter et que je vendrai mes photographies aux journaux, je ne demande pas plus.
Notre cible est en vue, les plaines de Vimy. En cette année 1917, je ne suis pas en train de chasser la neige de mes bottes, je contemple des paysages verdoyants. Le printemps est à peine entamé et il reste des traces de neiges ça et là, mais de là-haut, ce n’est pas de la boue, c’est juste un champ où pousseront des fleurs, du blé ou de verts pâturages pour les vaches. Il n’y a pas que des traces de neige, il y a les tranchées et c’est pour les analyser que nous les survolons. Nous allons reprendre ces terres aux Allemands et gagner la guerre. Je penche mon appareil photo, j’appuie sur le bouton : « Pour le roi George V et le Canada ». Mon pilote fait cabrer l’avion, nous rentrons. Ma mission est terminée, celle des autres peut commencer.
Van Puyvelde Stephan, 27 août 2023
English – translated from French by the author
Reconnaissance flight
There’s the time, there’s the wind, there’s the sound of cannons ringing out, taking me along in a whirlwind of shivers. Is this fear ? Am I going to die in a strange land, 5000 km from home, for people I don’t know, who know nothing about me and speak so many languages different from mine ? So I serve my king, my faith, my homeland ; I shouldn’t be afraid. They tell me I should be proud, that I’m a hero, that I’m going to die for the cause, but to die for a cause or nothing is still to die, isn’t it ? Is a cause worth dying for ? Freedom. Yes « live free or die ». And then, there have been wars, many of them, longer and deadlier. Castles are no longer useful cause there are cannonballs anymore. The threat comes from above. Underground strongholds and shelters are our daily life. Bayonet to rifle, gun in fist, helmet on head, piece of bread, and flask, the pack of a dying man on borrowed time. At this rate, we won’t last long. The old are too old and the young too young, young and crazy. They take bullets as if they could resist them. And the helmets are smashed.
In the distance, a bell rings ; fear overtakes the city. Panic sets in, clearing the way. Shutters close, children fall silent and run towards the houses whose doors slam shut. On the ground, the shadows of the German « Gotha » bombers loom, birds of prey. I can see them, because I’m in the air. I’m one of the few Canadian pilots in the RAF, and my job is to photograph enemy positions. Seeing the world from above is wonderful, so different. I can see my comrades-in-arms forming long columns to reach their positions, ever further east, as we advance, gaining ground on the enemy. But the enemy defends itself and comes back with more men and more weapons. My friends are falling, we count them. Every evening, I check on them. Many won’t come back. I don’t fight, or at least I don’t pull triggers, I don’t throw bullets or bombs, but I know that my role is essential because those who can see from above can anticipate troop movements and control them. We can shell an area or reinforce one to force the enemy to take a direction, a path we’ve chosen, where he can’t retaliate. We, in our planes, can see better and further than any general at headquarters. And that’s why we’re sent on missions, to be the eyes of our homeland. My plane is a converted Vickers F.B.5, a survivor of the glorious 11th Squadron RFC, the first fighter squadron. The machine gun has been removed so I can hold my camera. We don’t fly fast, but there’s a lot of movement and it’s very difficult to take good photographs.
The pilot is English, and I trust him to fly over the French plains. He knows them well, he’s been in combat before, and like all good pilots, he’s crashed several times, but he’s always come out okay. Now he can’t fight anymore, the Germans have better planes and better pilots, and he doesn’t feel up to the task, but like me, he wants to make himself useful, in his own way. He always said that flying was a privilege and facing the last knights in armor was an honor. He could see a certain nobility in aerial combat, like the duels of chivalry.
Aren’t they called the knights of heaven ? I don’t share his enthusiasm. While I can understand shooting down a plane and not a man, when a plane crashes and dies, a life is lost despite everything. Perhaps they’re braver, more courageous, or simply unaware. I know that when the war’s over, I’ll become a reporter and sell my photographs to newspapers, and that’s all I ask.
Our target is in sight, the Vimy Plains. In this year of 1917, I’m not chasing snow from my boots, I’m contemplating green landscapes. Spring has barely sprung and there are still traces of snow here and there, but from up here, it’s not mud, it’s just a field where flowers, wheat or green pastures for the cows will grow. It’s not just traces of snow, it’s the trenches, and we’re flying over them to analyze them. We’re going to take this land back from the Germans and win the war. I tilt my camera and press the button : « For King George V and Canada ». My pilot turns the plane around and we’re on our way. My mission is over, the others’ can begin.
Van Puyvelde Stephan, August 28 2023